PIAZZA
VIRTUALE

Parmi
toutes les expériences que nous avons
menées depuis quinze ans,
PIAZZA VIRTUALE est
une
expérience qui à l'évidence rend
visible le concept de network.
Aujourd'hui la pratique artistique n'est plus l'apanage d'un
être individuel, sorte de démiurge qui
projetterait dans le monde l'idée de la création:
une idée plastiquement accomplie dont pourrait se
repaître à satiété notre
soif de connaissance.
Le temps de la
"Machine célibataire"
prend fin. Il prend fin avec la primauté de l'industrie
mécanique sur les activités humaines. Aujourd'hui
vient le règne de l'information. D'objet de
réclame assujetti au discours critique et glorieux de
l'industrie, l'information est devenue une entité abstraite
qui contrôle et régule le contenu du
réel et de son corollaire artificiel, le langage.
L'interprétation du monde ne peut plus être
soumise au seul objet plastique, critique d'une apologie du
consummatoire. Le post modernisme a spéculé sur
l' Art Pop et il ne nous reste plus qu'un emballage jetable impropre
à être recyclé. Aussi après
avoir magnifié le monde du religieux, puis celui plus
prosaïque des phénomènes, les artistes
sont confrontés à la pratique des
média comme véhicules de conscience. Mac Luhan
l'a énoncé simplement:
"media
is message" .
L'accessibilité immédiate d'un point distant de
l'espace et du temps grâce aux média oblige la
conscience à une autre gymnastique mentale que celle de la
représentation aristotélicienne.
L'articulation ne joue plus entre le pouvoir de
représentation et la sacralisation de l'objet fini mais
entre le pouvoir de présence et le processus de perception.

Aujourd'hui
l'art se joue à décliner le processus
de présence sur tous les modes de perceptions et
non plus à élaborer des formes sur tous les modes
de représentations. La notion égotique de l'homme
solitaire, tentant de maîtriser le monde (the Winner), fait
place à la notion tangente de l'homme interfacé,
joueur blasé d'un monde virtuel (the Joker). Nous sommes
passés de l'angoisse existentialiste de l'être au
trac illusionniste de la participation.
A moins qu'il ne fasse revoir les règles
théoriques qui nous animent.
Se pourrait-il que le concept de network, étendu au
territoire de l'art comme pratique et comme éthique,
devienne le nouvel enjeu de l'intention créatrice? Le
concept de network pourrait-il générer un langage
propre à transcrire l'expérience
émotionnelle perçue dans la pratique du processus
de communication, à travers l'usage des média?
L'AGORA CATHODIQUE, notion générique
utilisée par le network d'
UNIVERSCITY
TV, est l'exemple d'une oeuvre artistique qui ne se
situe plus dans le champ de la représentation mais dans
celui du processus mis à nu.
La
technique du ALL OVER
ALL
OVER . Ici, les instruments
de composition n'ont plus rien à voir
avec la panoplie habituelle de l'artiste. La configuration mise en
place fait appel aux technologies de communication:
téléphone, fax, modem, touchtone,
vidéo, computer, visiophone, lignes ISDN, satellites.
Assemblés et interconnectés entre eux, ces outils
permettent de créer un espace virtuel propre au network: une
télévision interactive.
Dès qu'il est présent dans cet espace virtuel,
chaque participant a la possibilité de couvrir,
grâce à ces instruments, une partie de la
composition en termes de son, d'images et de data. Il peut à
tout instant embrasser les états déjà
existants et intervenir dans le flot de la communication.
PIAZZA
VIRTUALE propose un canevas qui rendrait visible, en
temps
réel, le processus même du langage:
"la
présence de l'autre à soi-même et la
réciprocité de cet état, la conscience
de soi-même donnée à l'autre " .
Les intervenants s'interpellant au travers de cet espace construisent
strate par strate les éléments d'une oeuvre
fluctuante, toujours en devenir. A la fois créateur et
véhicule, chacun use de sa virtuosité pour
composer l'oeuvre selon la technique du
ALL
OVER.
Une épidémie de signes se propage au sein de
l'espace
virtuel et développe un abécédaire
chaotique
d'où émerge çà et
là le sens d'une
parole qui se découvre, d'une oeuvre singulière
qui se
donne à voir. Singulière parce qu'elle
préexiste
avant toute manipulation intelligible, avant tout traitement
interprétatif. A l'intersection de l'imagination et de
l'expérience, "all over the média", elle signifie
sa
propre existence à l'instant où le
système est
opératoire, c'est à dire dès que le
network en
fait usage. L'architecture électronique de
L'AGORA
CATHODIQUE
recouvre l'espace et le temps mental de notre attention au monde. Sa
perspective interagit avec nos sens et se crée au fur et
à mesure que nous l'énonçons, que nous
la
pratiquons.
Sur cette place, point de ligne de fuite, point de distance, point de
décalage horaire. Chaque personne présente,
qu'elle soit à Vancouver ou à Riga, constitue le
principe actif de l'oeuvre. Elle est l'oeuvre elle même
puisqu'elle investit le pouvoir de la présence
allongée le long du processus de perception. ALL OVER.
La logique émotionnelle des
"danseurs-visages"
Nous oublions souvent que, quelque soit l'intelligence que nous avons
du monde, nous sommes des êtres peu enclins à
analyser les motifs qui nous poussent à mettre de l'ordre,
à mettre une chronologie, à établir un
sens dans notre relation au réel.

Pour
quelle raison l'
AGORA
CATHODIQUE nous entraîne hors du monde
phénoménologique et nous fait
pénétrer dans le monde virtuel du processus?
Certains pourraient penser qu'il ne s'agit que d'une vague
élucubration techno-utopiste réalisée
par des ackers en mal d'aventures. Il existe en effet aucune
référence et encore moins de chronologie
historique d'une configuration de ce type dans la mémoire.
Pourtant dans cette prospective du cyberspace, surgit de notre
être un principe agissant qui nous permet de raisonner notre
présence à travers le processus, de
connaître l'état de notre action et de notre
découverte au fur et à mesure qu'elle se donne
à voir dans le média par un effet
réflexif, un effet miroir qui ajuste notre conscience
à l'expression immédiate de notre perception.
Ce principe agissant rend compte des étapes que nous
franchissons dans le média, non plus en termes de temps et
de durée liés à une
causalité tels que nous les trouvons dans le continuum de
l'image-temps
du cinéma, mais en termes d'usage et de pratique
liés à une émotion transcrite
immédiatement dans le média. Ce monde virtuel ne
cherche plus à représenter le réel. Il
est un monde en soi. Ce monde, artificiel certes parce que c'est la
technologie qui le crée, possède des
règles propres, des lois propres, encore à
explorer. Nous reconnaissons un principe qui nous guide dans cette
virtualité, parce qu'il atteint la croisée de
l'imagination et de l'expérience. Ce principe a dans ce
nouveau continuum la possibilité d'exister à part
entière. Ce principe nous le nommons
LOGIQUE EMOTIONNELLE.
L'imagination et le rêve nous a fait envisager cet espace
virtuel. L'expérience nous a permis de l'assembler. La
logique émotionnelle le rend agissant.
La place publique où les hommes s'interpellent, racontent
leurs histoires, régulent leurs échanges,
répondait à une nécessité
structurante de la pensée. Elle instaurait le lieu commun de
leurs existences et, dans la profusion des bruits, des couleurs, des
mouvements, composait une chorégraphie où chacun
s'individualisait et s'indifférenciait tour à
tour dans les diverses représentations du corps social.
PIAZZA
VIRTUALE répond à une
nécessité du monde digital de l'information.
L'épidémie des signes qui se propage en son sein
est le symptôme du besoin de participation des individus
isolés du réel devant leurs écrans
cathodiques.
L'hégémonie des Média ayant dissous le
corps social au profit d'une manipulation systématique de
l'information, les individus n'ont plus le pouvoir d'agir
eux-mêmes physiquement dans l'espace et le temps de
l'échange. Devenus consommateurs passifs, ils ne sont que
les points de convergences statistiques d'un système
d'information qui régule le champ économique.
C'est leurs avatars virtuels, "les danseurs visages" qui les remplacent
pour jouer le simulacre d'un corps social devenu une forfaiture
politique. La logique émotionnelle des danseurs visages
permet ainsi à la conscience humaine, toujours ignorante des
motifs qui la pousse à ordonner le sens de sa relation au
réel, de trouver un nouveau terrain d'investigation de la
pensée. La logique émotionnelle oblige les
participants du network à agir dans le
monde
virtuel des média.

Ce
monde de simulacre ne révélera son essence
qu'au détour de son évolution, dans son usage
interactif permanent. Nous verrons apparaître, peu
à peu, un corps médiatique qui, acceptant les
implications d'une mutation des langages analogiques vers les langages
digitaux, composera une chorégraphie encore plus riche
d'émotions, encore plus riche de désirs, pour
faire la nique à notre limitation mortelle et tenter
d'échapper au cercle vicieux de la frustration et de
l'incompréhension, lié à
l'éternel
inassouvissement de l'être.
Pour en finir avec le jugement de dieu
Pour
en finir avec le jugement de dieu Cet
inassouvissement de l'être est créateur de
vérité. En énonçant ces
présupposés
philosophiques sur l'expérience tangible de
PIAZZA VIRTUALE,
nous voulons en finir avec le jugement qui définit le bien
et le mal, le créateur et la créature, le
maître et l'esclave, le dominant et le dominé, le
modèle et la copie, l'illusion et la
réalité, le vrai et le faux.
Ce jugement est lié à notre goût
immodéré de la Forme où nous nous
contentons d'invoquer le temps historique et ses
références. Nous ne cessons de prendre mesure sur
le passé et ses représentations. Les
conséquences de ce jugement sont partout visibles. Nous
voyons aujourd'hui l'effondrement de ses valeurs et de ses dogmes. Tout
cela témoigne d'un élan vital
épuisé, d'une lâcheté
spirituelle. Nous ne tenons pas compte de la multiplicité,
de la duplicité et de l'ubiquité du
désir de la pensée de vouloir transcender notre
conscience du monde.
La puissance du simulacre inventé par les danseurs visages
s'effectue non plus dans la Forme mais dans la
transformation. Dans l'espace de
PIAZZA VIRTUALE il
n'y a ni
vérité, ni apparence ultime. Il y a un processus
qui appartient au présent antérieur de la
perception que la perception ne cesse de transformer dans un devenir en
évolution constante. Car la vérité de
ce continuum virtuel n'a pas à être atteinte,
trouvée, ni reproduite, elle n'a cesse d'être
créée à partir du processus
artistique.
L'existence de ce continuum donne de la pensée à
la pensée. Il énonce l'impensable de la
pensée. Il crée de la voyance en ce monde, une
voyance qui éclaire d'un nouveau point de vue
l'éthique, l'esthétique, le religieux. En ce
sens,
PIAZZA VIRTUALE
est à considérer comme une
révélation, une télé-vision
de la pensée.
"Je
suis le moi, je suis le toi, je suis le
trois, je suis le roi..." chantent les danseurs visages."

Le projet
UbiK poursuit
cette notion de la multiplicité, de la duplicité
et de l'ubiquité du désir de la pensée
de vouloir transcender notre conscience du monde qui a
été expérimentée de
manière pratique dans le projet Piazza virtuale. Le
projet
a pour but d'éprouver la validité de son concept.
Le bonheur n'impliquant pas le confort mais la considération
de la valeur, l'art de cette éthique est d'accepter en toute
circonstances celui de sa valeur, économique par essence,
par excellence, puisqu'inventer en appliquant c'est
démultiplier son symptôme: mais attention : ne pas
démultiplier sans nécessité.
En
matière de sagesse, les
décrets ou hypothèses tiennent lieu de
dépenses...
La
composition
des
équipes qui oeuvrent à ce projet est
organisée autour d'artistes qui depuis vingt ans
conçoivent leur pratique comme la mise en place de nouveaux
modèles esthétiques. Au stade actuel de
l'expérience les centres opérationnels de
UniversCity
TV sont actuellement organisés en
MédiaBases
à travers le monde (Lyon, Paris, Caen, Poitiers,
Marseille, Nancy, Hamburg, Hanover, Berlin, Riga, Moscow, Lubljana,
Milano, Barcelona, Vancouver, Quebec, New York, Nagoya, Tokyo).
1992/ Christian Vanderborght