ONDES SANS FRONTIERES (1998-1999)
UniversCity TV s'est fortement impliqué dans la
création de
OSF
qui a permis la legalisation des TV
associatives en France. Pour préserver la
mémoire
de cette experience, quelques elements d'archives avec le
Manifeste d'Ondes Sans
Frontières signé de
Raoul
VANEIGEM.
Philipe
Arnoud, un des membres fondateurs, nous livre quelques
années
plus tard, dans un interview paru dans
Acrimed,
son analyse de l'expérience d'OSF et du contexte historique
et social de l'époque.
- Manifeste
- Contexte
historique
MANIFESTE
Déclaration
européenne des
droits de l'homme, article 11 :
"la
libre communication des pensées et
des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme
; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement
; sauf à répondre à l'abus de cette
liberté dans les cas déterminés par la
loi ".
"Je
trouve normal qu'un diffuseur
ait ses exigences. Si on veut avoir une totale indépendance,
il faut faire une télé pirate" Karl Zero "Le
Monde",
avril 1998. 
Le monde vit actuellement
une véritable
révolution de l'information et de la communication
à travers entre autres la multiplicité des canaux
de diffusion câblés et par satellite. La
création se perd dans les
contraintes "communicatives" des entreprises qui possèdent
les médias. Ceux ci sont aux mains de grands groupes
industriels et commerciaux, structurés de façon
à échapper le plus possible au contrôle
même des Etats.
Ce flot discontinu empéche ainsi
l'emergence de nouvelles subjectivités et de nouvelles
interactions entre les individus et les groupes tout en
étant au cur du dispositif qui conditionne les changements
politiques et sociaux. La diffusion est soumise au diktat de la
pensée unique et des contraintes prétendues
consensuelles.
A cela, nous répondons que les
regards croisés sur la société sont
source d'enrichissement de la pensée!
Si le développement de ces nouveaux
réseaux représente un extraordinaire potentiel de
distribution de l'information, ce même
développement représente un sérieux
danger pour la démocratie directe, la diversité
culturelle et l'évolution de la
société civile.
Par ailleurs, le mouvement social qui
émerge depuis le début des années 90
à travers les revendications des chômeurs et des
précaires, des sans logis, des sans papiers etc... est
colonisé par les médias afin de reproduire le
discours de la pensée dominante : il est victimes des
manipulations et omissions diverses des télés
radios, journaux. Ce type de communication
généralisée organise l'exclusion par
la parole et la non participation à toute
décision qui concerne notre destin collectif.
Or, il existe dans de nombreux pays des
dispositifs reconnus et même financés par les
autorités qui permettent l'expression citoyenne : En Europe,
les canaux d'accès public allemands, les
télévisions locales hollandaises ou danoises,
l'expérience de Paper Tiger aux Etats -Unis permettent
d'imaginer semblables dispositifs en France.
En conséquence, nous
appelons toutes et tous,
associations, syndicats, collectifs
et personnes morales, amateurs
et professionnels des médias,
télespectateurs, auteurs, créateurs,
artistes -video, chercheurs etc...
concernés par l'élaboration
d'une parole médiatique
libre et indépendante
à :
- reconnaître
et
soutenir les principes exprimés par l'article 11 de la
Déclaration des droits de l'Homme (1789).
- affirmer
que l'accès
des "minorités"
aux médias est un élément
indispensable à la liberté d'expression.
- déclarer vouloir
sans attendre construire des conditions
sociales et culturelles qui permettront de développer de
nouveaux imaginaires moteur d'une réappropriation de l'image.
Nous revendiquons, pour ce
faire, le droit d'occuper
dès aujourd'hui, un
espace hertzien et câblés
autonome, ayant pour objectif
l'expression politique et
culturelle de ce mouvement
revendicatif.
Cette initiative est née de l'union de
volontés individuelles d'hommes et de femmes amateurs de
vérités et d'irrévérence.
Nous sommes conscients que cette expression ne s'élaborera
pas sans un travail de reflexion politique sur l'image
télé et sur la société du
spectacle
Sur un plan tactique, notre communication doit
être un rayonnement au départ d'un centre plus ou
moins occulte. Nous établirons des réseaux non
matérialisés (rapports directs,
épisodiques, contacts non contraignants,
développement de rapports vagues de sympathie et de
compréhension, à la manière des
agitateurs rouges avant l'arrivée des armées
revolutionnaires). Nous revendiquons comme nôtres, en les
analysant, les gestes radicaux (actions, écrits, attitudes
politiques uvres) et nous considérons nos gestes ou nos
analyses comme revendiqués par le plus grand nombre.
Raoul
VANEIGEM.
UniversCity TV s'est fortement impliqué dans la
création de
OSF
qui a permis la legalisation des TV
associatives en France.
Philipe
Arnoud nous livre quelques années
plus tard, dans un interview paru dans
Acrimed,
son analyse de l'expérience de Ondes Sans
Frontières.
Contexte
historique et social
Nous
sommes en 1998 un an après la victoire des socialistes aux
élections législatives, Jospin est au
Zénith, la croissance revient, le chômage
commence à baisser. Dans ce climat de confiance, les
laissés pour compte de la
reprise font entendre leurs voix aux travers de mouvements, de
chômeurs et de
sans logis, puissants avec occupations et actions de blocages diverses.
Les
revendications portaient essentiellement sur la revalorisation des
minima
sociaux et sur l’accès aux logements. Et durant
les deux hivers 97 et 98, les
médias relayaient assez largement les actions
menées par les associations,
syndicats et collectifs qui formaient « le mouvement
social », AC,
CGT chômage, les SUD, le DAL et d’autres. Mais
à nos yeux, la retransmission du
mouvement par les médias était totalement
orientée : sujets
misérabilistes, refus des journalistes d’aborder
le sujet sous un angle plus
global et plus économique, personnalisation du conflit au
travers de portrait
de leader ou bien de personnes sans ressources avec des
problèmes sans fin.
Donc de nombreux débats animaient nos assemblées
générales sur les rapports que
l’on devait avoir avec les média, sur leur
présence ou non, sur la désignation
ou non de porte parole, et surtout sur le contrôle et la
ré-appropriation de
notre propre discours.
Le DAL occupe le 51 rue
d’Avron
C’est dans ce
contexte de forte mobilisation, que le DAL en
décembre 97 occupe simultanément plusieurs
immeubles à Paris dont deux au 51
rue d’Avron dans le 20e. Un immeuble de huit
étages destiné au relogement de
familles mal-logés et une tour de 12 étages qui
surplombe largement le quartier
et l’Est parisien. J’avais
été chargé par le DAL de la gestion et
de
l’occupation de cette tour. Et c’est durant la nuit
de l’occupation en visitant
le dernier étage que l’idée est venue
de fabriquer une télévision pirate. Le
premier cercle de l’équipe de fondation
était le résultat de rencontres dans la
Maison Des Ensembles (rue d’Aligre dans le 12e
arrondissement), où j’avais à
l’époque quelques responsabilités au
DAL et des militants membres ou proches de
l’association No Zèle Télé.
Avec Tony Briceno, nous avons fait le tour des
organisations du mouvement social et de quelques
personnalités pour récupérer
un petit budget de départ pour acheter
l’émetteur (environ 25000F de
l’époque).
Nous avions également contacté la presse
écrite et audiovisuelle pour avoir une
couverture le jour de l’inauguration, ce qui
n’était pas sans difficultés
puisque nous ne pouvions pas leur indiquer le jour de la
première diffusion
pour des raisons de sécurités
évidentes. Patrick Poivre d’Arvor a
salué notre
arrivée dans le PAF, France 2 qui était la seule
télé présente le jour J a fait
un sujet dans le 20h le lendemain,
Libé
et
Le Monde nous ont
relayés. Globalement la couverture presse a plutôt
bien fonctionné, ce qui
était assez contradictoire puisque nous avions justement
besoin de ceux que
l’on critiquait le plus.
Construction et concept
Dans notre esprit (celle des
premiers fondateurs) il n’était pas
question de fabriquer un outil pérenne, mais il
s’agissait en fait d’une
tentative de ré-appropriation du discours, notamment mais
pas seulement, celui
des gens qui depuis plusieurs années manifestaient dans la
rue pour la
reconnaissance de leur droit. Nous agissions dans le cadre
d’une nouvelle
revendication : celle du droit à
l’expression et nous avions un cadre
juridique que nous brandissions tel un drapeau celui de
l’article 11 de la
Déclaration Européenne des Droits de
l’Homme de 1948.
Cette revendication
s’est peu à peu affinée au fur et
à mesure de
notre réflexion puisque nous réclamions
à l’époque des fréquences
réservées aux
télévisions associatives ainsi qu’un
fonds de soutien qui aurait été pris sur
les bénéfices des chaînes
privées. L’idée était de
dire que les ondes sont un
bien public et collectif et que ceux qui réalisent des
bénéfices sur ce bien
public doivent en reverser une partie aux
télévisions associatives, seules
garantes selon nous d’un bon exercice de
l’expression citoyenne.
Nous
nous étions entouré de quelques
avocats afin de préparer une couverture juridique. Aussi,
nous avons envoyé au
CSA quelques jours avant la prise d’antenne pirate une
demande d’autorisation
temporaire afin de commémorer les 30 ans de mai 68,
considérant qu’une non-réponse
du Conseil valait pour nous autorisation.
- Stratégie
initiale et réponse du CSA
L’idée de
départ était de se confronter au pouvoir
socialiste de
l’époque en le mettant face à ses
contradictions et notre hypothèse était que
l’État allait par la force publique saisir
rapidement notre matériel pour
éviter un précédent. Une rapide
observation des lieux laissait présager
d’énormes difficultés pour des forces
de police traditionnelle de pénétrer dans
nos locaux (il suffisait en effet de condamner les deux
étroits escaliers et de
s’enfermer à l’intérieur pour
interdire, ou du moins rendre très difficile
toutes interventions). Il restait alors à
l’état
l’hélicoptère, ou le siège
des
lieux, avec l’image désastreuse que cela aurait
donnée au gouvernement : la
saisie d’une télé fabriquée
avec des bouts de scotch, financée et organisée
par
les chômeurs et les gens les plus démunies.
Ensuite un bras de fer se serait
engagé entre l’Etat et une campagne de
solidarité que nous espérions large.
Mais les choses ne se sont pas
passées comme cela, l’Etat
schizophrène a eu un double langage. Au bout d’une
semaine d’émission pirate,
nous avons reçu par la voie du CSA une convocation
à la brigade financière de
la police judiciaire à laquelle j’ai dû
me présenter où l’on m’a dit
que l’on
aurait une autorisation temporaire si nous arrêtions 24h nos
émissions pirates.
Le CSA ainsi gardait la face.
Le 3 juin 1998, une
autorisation d’un mois 24/24h tombait et avec
elle, le scénario fort Chabrol aussi.
La vie sur
le plateau et le contenu
- Un
bouillonnement sur le plateau

Depuis le début
de
nos émissions, il existait autours d’OSF une
dynamique extraordinaire, il faut savoir que nous étions
partis avec la
prétention de tenir 24/24h pour une durée
illimitée et nous avions en stock le jour
de l’inauguration, 2 h de programme. Michèle
Rollin qui s’occupait de la
programmation, avec une grande efficacité vu la faiblesse de
nos moyens, fut
rapidement débordée par les demandes de
programme. De tous horizons, les gens
affluaient à OSF pour proposer soit de nous aider
à la technique, soit pour
nous

apportaient du
matériel, soit encore pour
d’autres choses. Chaque soir, le
plateau était comble et l’action se passait aussi
bien dans le champ qu’hors
champ, il y avait en fait une sorte de happening permanent. Le plateau
était
ouvert sans aucune restriction et dans ce cadre, la
ré-appropriation du
discours par le public était bien une
réalité non théorique, aussi notre
slogan
était (cela nous venait des Etats-Unis) :
« Ne regardez pas la télé,
Faite là ! ! » Chaque
soir, des appels à l’antenne invitaient
nos téléspectateurs à nous rejoindre
en direct sur le plateau, et les gens du
quartier venaient, prenaient la parole et des débats plus ou
moins cohérents
s’improvisaient, les deux micro passants de main en main.
La programmation
était organisée autour de trois axes :
l’accès public dont la définition
à l’époque était sujette
à débat et restait
plus ou moins floue, les émissions à
caractère politique et social,
préparées,
par les associations de lutte contre l’exclusion et la
programmation
artistique, musique, mixe vidéo, performances diverses. La
grosse majorité de
l’antenne étaient des programmes lives en direct,
nous avions toujours des
documents divers à proposer et le nombre de tournages
à l’extérieur était
relativement rare, bien que présent plusieurs fois par
semaine.
Moi, je
n’étais pas à
l’époque un farouche partisan de
l’accès
public (sous-entendu, sans aucun contrôle), je dois admettre
avec le recul et
devant les programmes des autres télés, que la
dynamique de cette « non
-programmation », la prise de parole anarchique
qu’elle engendrait, le
« joyeux bordel » (comme
l’avait écrit Libération), avaient un
côté
rafraîchissant qui reste dans ma mémoire comme une
expérience unique et riche à
la fois.

L’organisation
d’OSF était donc basée sur
l’autogestion. Le
plateau et la réalisation des émissions
étaient complètement pris en charge par
ceux qui nous proposaient des émissions (sauf quand il ne
pouvait pas, nous
leur fournissions l’équipe technique). Il
n’y avait pas d’animateur
« maison », ce qui avait pour
effet de déstabiliser tous ceux qui
pensaient retrouver sur OSF le fonctionnement d’une
télé traditionnelle. En
règle générale, plus les
émissions étaient
présentées par des groupes informels
« non structurés »
plus la prise en charge était complète et
l’émission en était que plus vivante.
Cette autogestion est une des
raisons pour laquelle les
organisations dites « du mouvement
social » qui avaient été les
bailleurs de fonds d’OSF n’ont jamais rempli le
rôle pour lequel cette télé
avait été fondée. Hormis le DAL, qui
avait une émission hebdomadaire et qui la
tenait, la participation aux programmes des représentants
syndicaux ou
associatifs s’est peu à peu
raréfiée au fur et à mesure de la
première
autorisation, 3 juin-3 juillet 1998, pour presque totalement
disparaître dans
la deuxième période d’autorisation
(octobre 1998-mars 1999). J’explique cela
par le fait que les représentants des organisations
cherchaient à retrouver sur
OSF le déroulement traditionnel d’une
émission télé, avec un animateur qui
distribue et organise la parole, des rendez-vous horaires tenus, et
vivant mal
l’intervention de personnes extérieures au
débat qui donnait parfois leur avis.
Aussi, la capacité à l’autogestion
était inversement proportionnelle au niveau
d’organisation et de structuration du groupe en
présence. C’est-à-dire que les
groupes de jeunes venant présenter des émissions
musicales prenaient
parfaitement en main l’outil audiovisuel qui leur
était proposé, à l’inverse
des syndicats qui attendaient de nous une prise en charge du
déroulement du
programme, ce à quoi nous nous refusions, les
émissions devenaient alors
rapidement insipides sans vraiment de débat contradictoire.
Aussi, la programmation
artistique a rapidement pris le dessus en
termes de temps d’antenne notamment durant la
deuxième période. Les groupes
informels qui venaient faire des émissions de rap, de rock
ou d’autres étaient
souvent aguerris aux performances en public, expérience qui
leur venaient
probablement des « sound
système » ou des
« raves
parties ». Pour certains d’entre eux, ils
arrivaient avec un camion entier
de matériel de lumière et de son, et
précédaient leur direct
l’après midi, d’un
véritable filage avec préparation technique,
conducteur et enchaînement entre
séquences.
Hormis le petit noyau de
départ, qui venait du mouvement social,
les personnalités qui ont rejoint la direction
d’OSF, les fondateurs, n’avaient
pas tous forcément la même vision et les
mêmes désirs sur le devenir de la
chaîne. Personne ne remettait en cause le projet de
départ, c’est-à-dire :
une chaîne de télés, relais des luttes
en cours, qui avaient pour ambition de
rendre la parole à ceux qui en sont privés mais
cette télé devait être
également le relais d’une contre-culture tant sur
le plan artistique que
social, toute la difficulté résidait dans
l’équilibre entre ces deux visions.
Mais force était de constater que « le
mouvement social » n’occupait
pas assez l’antenne et que l’expression artistique
avait, elle, pleinement
trouvé sa place en utilisant l’antenne de
manière originale et parfois
novateur. Durant la deuxième autorisation (6 mois), la
situation dans la tour
devenait de plus en plus difficile (problème de chauffage,
d’hygiène, et même
de sécurité, etc), de nombreuses
dégradations et de vols de matériel ont rendu
l’antenne de plus en plus précaire.
Ces difficultés ont
exacerbé les tensions, et lorsque nous avons
dû quitter la tour, puis plus tard la Maison Des Ensembles,
ceux qui parmi les
fondateurs réclamaient une télé au
service principalement d’une contre-culture
artistique gardèrent l’antenne, en allant
s’installer après notre démission
dans des squats parisiens.
- Le
rôle du CSA et de l’Etat
Le CSA a eu dans cette
histoire une position ambiguë, confronté
à
une nouvelle situation qu’il n’avait jamais connue
sur le territoire et jamais
sous cette forme a dû dans l’urgence nous
autoriser, notre saisie aurait été
vécue comme une censure que nous aurions parfaitement sue
exploiter. Au sein du
conseil, Philippe Labarde était notre principal soutien.
Lorsque je l’ai
rencontré début juillet ; il nous a
d’abord félicité sur le fait
qu’aucune
plainte n’ait été
déposée contre nous puis, il nous a
proposé de défendre notre
dossier en séance plénière. Enfin, il
s’engageait à soutenir une nouvelle
autorisation d’un mois. L’exposé devant
le conseil a eu lieu et malgré les
critiques, le CSA nous a donné une nouvelle autorisation de
six mois
24/24 ; un précédent en France qui
n’a jamais été reproduit. Mais ne nous
y trompons pas le CSA, au-delà de sa mission
éthique, reste au service des
grands groupes de l’audiovisuelle privée ou
publique. Dans la période qui a
suivi les deux autorisations d’OSF, le secteur associatif a
été cassé par un
jeu subtil dans lequel le CSA a joué les
télés associatives les unes contre les
autres en ne donnant que quelques timides autorisations
partagées de quelques
heures par jour. Le recul entre la période 98/99 et
aujourd’hui est flagrant.
Quelques contacts officiels
avaient été pris au niveau du Sénat,
de l’Assemblée Nationale et de quelques chefs de
cabinets. Mais les socialistes
au pouvoir ne comprenaient rien aux enjeux, refusaient
d’entendre parler de
nouvelles taxes et étaient incapable de faire preuve
d’innovation et de courage
politique en refusant de comprendre qu’il pouvait exister
d’autres cadres
économiques et d’autres formes de
télévisions locales que celles de la PQR
(comme le réclamait l’un de leurs
députés, M. Françaix). Ainsi
ce
gouvernement et le Parlement n’ont pas su
légiférer à temps un texte
suffisamment engagé pour garantir l’existence
pérenne des télévisions
associatives. Le candidat Jospin a, au dernier moment sur sa profession
de foi,
inscrit la promesse d’un fonds de soutien aux
télés associatives. C’était
déjà
trop tard.
Bilan de l’action passée
et devenir des télés associatives
J’analyse
cette période comme un
semi-échec, car le projet tel qu’on
l’avait porté dès le début a
échoué. La
ligne militante a échoué : nous
n’avons pas été supportés
par les groupes
qui nous avaient financés et le mouvement social
n’a pas utilisé cet outil à la
hauteur de son potentiel. Il y a là un problème
culturel, les structures qui
sont les plus engagées dans une contestation globale
n’ont pas pour priorité de
donner naissance à un espace médiatique autonome,
pour eux tout mouvement
revendicatif à besoin de faire porter son discours le plus
largement possible.
Même Porto Allègre a besoin des médias
officiel ; ces grosses manifestations
n’existent que grâce aux relais des
médias officiels, ils n’existent pas par
les médias alternatifs. Il y a pour moi une
schizophrénie évidente. On n’aime
pas TF1, mais on veut que TF1 viennent nous filmer. Les mouvements sont
d’accord pour l’émergence de nouveaux
droits, mais des télés associatives ne
peuvent être que des télés minoritaires
voir des télés ghettos, sans audience
et qui n’intéressent que des gens militants, qui
veulent un reflet médiatique
de leurs actions.
En fait la question
qu’il faut se poser c’est pourquoi ce
désir de créer un média audiovisuel
alternatif ? Et qu’elle est sa
fonction sociale ? Le débat qui nous anime tous
depuis de nombreuses
années, et qui vient de
s’accélérer, est celui de la
manipulation des esprits
par les grands groupes de communication privée et
même publique, on l’a vu dans
la période qui a précédé le
21 avril en France, avec toute cette focalisation
médiatique sur la sécurité.
Cette question de la fonction
sociale est pour moi fondamentale,
car s’il s’agit simplement d’ajouter une
télévision dans le bruit médiatique
actuel en se rajoutant dans un bouquet médiatique
quelconque, son utilité est
réduite à sa plus simple expression et la zapette
fera le reste du travail en
fonction de l’intérêt que le spectateur
trouve dans ces programmes. Si sa
fonction est d’être uniquement la vitrine
d’une contre-culture et le relais
d’une production audiovisuelle alternative, c’est
très bien, mais cela me
semble insuffisant. Par contre si sa fonction c’est
d’être le vecteur de
l’expression d’une nouvelle citoyenneté,
cela doit passer par une révolution du
discours audiovisuel tant sur le fond que sur la forme car le
modèle dominant
de TV (mise en images, dispositif, qualité des images, etc.)
est dans leurs
têtes (les émetteurs sociaux) et aussi dans les
têtes du côté de la
réception.
Le téléspectateur, maintenant, perdu dans le
bruit médiatique, aura du mal à
suivre un discours alternatif avec ses modes de communication propres
(montages
à temporalité différentes, disparition
de l’approximatif et du raccourci au
profit de la longueur et de la précision). Ainsi et
c’est là, la contradiction
d’un média alternatif, s’il veut exister
et émerger dans le bruit médiatique,
il doit avoir l’ambition à devenir majoritaire, et
dans cette perspective
adopter les modes actuels de communications des médias
dominants et en écartant
la forme qui fait sa spécificité.
Tout discours alternatif -
présupposé minoritaire - ne trouve
audience et donc future légitimité sur la place
publique que grâce à l’espace
qu’il aura su s’octroyer- au forceps ou non- dans
les débats portés par les
médias majoritaires. La question des OGM est une nouvelle
problématique
apparue, il y a quelques années. Auparavant, les
débats, sur ce thème des
spécialistes dans les revues du même non,
n’intéressaient qu’une infime
minorité et même si les OGM ont toujours
été un enjeux de santé publique, cela
n’était pas encore, il y a peu de temps, une
question portée par l’opinion
publique donc à enjeux électoraux.
José Bové l’a très bien
compris, il place
ces actions en fonction de l’intérêt
qu’elles peuvent susciter auprès des
grands médias audiovisuels pour que cette question soit
maintenant du ressort
de l’opinion publique.
Un vrai bouleversement,
c’est de considérer une
télévision comme
un outil pour s’attaquer à cette manipulation des
esprits dont le but est de
porter et de favoriser le débat. Mais, ne nous y trompons
pas les télévisions
associatives resteront toujours ghettoïsées, si
elles veulent se placer au cœur
du spectre audiovisuel en adoptant une stratégie
centralisatrice nationale.
Cette menace peut être évitée
grâce à une organisation horizontale,
décentralisée sous la forme d’une
fédération avec une mutualisation des
programmes. Cela pourrait prendre la forme d’une multitude de
télés
associatives mais très locales (quelques quartiers, quelques
cités) dont les
programmes retransmettraient les problématiques locales en
utilisant ses
propres modes de communication. De telles structures peuvent plus
facilement se
dégager de contraintes budgétaires qui ne
manqueront pas de se poser à une
structure plus verticale (absence de «must-carry»,
technologie
numérique moins onéreuse, mutualisation des
programmes), et peuvent plus
facilement adopter de nouveaux modes de discours audiovisuels en se
plaçant
justement au plus près des questions qui peuvent animer un
quartier ou une
cité. Ainsi la contradiction
précédente peut être
dépassée, car un tout petit
média local trouvera sa place et son audience tout en
favorisant l’émergence
d’une nouvelle grammaire de l’image que peu
à peu le spectateur pourra mieux
appréhender.
Philippe
Arnould, 2003
« Penser
Global, Agir Local »
En
savoir plus sur les expériences des Tv locales